Colloque international
L’époque contemporaine se dessine au gré d’une pluralité de crises dont la succession ou la concomitance peuvent éveiller la sensation d’une permanence, d’une durabilité et d’un temps des urgences en convergence. On pense par exemple à la crise climatique, à la crise migratoire ou Flüchtlingskrise en Allemagne, que l’on date généralement à partir de 2015 et, depuis février 2022, à la guerre en Ukraine ayant elle-même déclenché de multiples crises. De même, la pandémie de Covid 19 a eu des effets complexes, sapant l’ordre de nos certitudes et de la normalité par son apparition inattendue et extrêmement rapide au printemps 2020. En très peu de temps, des mesures de gestion de la crise ont été élaborées, mises en œuvre, abandonnées ou constamment adaptées afin de réagir à la rapidité de la propagation et aux grandes incertitudes. Très récemment, la forte instabilité géopolitique (al)liée à l’imprévisibilité des décisions américaines sur des dossiers extrêmement sensibles remanient frontières (au sens large), coalitions et coopérations historiques tout en imposant le registre de l’urgence dans les choix stratégiques européens.
Si la crise est généralement définie comme un bouleversement qui surviendrait en interrompant le cours normal des choses (Opillard, 2023) et qui laisse place à de nombreuses incertitudes, l’urgence, à laquelle elle est souvent liée, ouvre, quant à elle, un champ davantage axé sur la manière dont sont engagées les subjectivités, que celles-ci soient d’ordre collectif ou individuel. De fait, une urgence est souvent corrélée à une situation de danger imminent, ce qui exhorte du reste à repenser, d’un point de vue anthropologique, le rapport qu’elle entretient au tragique.
À l’époque contemporaine, l’urgence couvre un large champ de manifestations en raison des glissements sémantiques dont témoigne l’évolution de ce concept : « (...) le propre de l’urgence est qu’elle s’affranchit de son contexte originel – le risque de mort – pour essaimer dans divers champs de la société où elle s’est immiscée incognito. En France, le glissement se fait d’autant plus facilement que c’est le même mot qui désigne l’urgence avec risque vital et l’urgence de ce qui est simplement pressant »[1] (Bouton, 2013, p. 44). Désignant l’impératif de parer au plus presser, l’urgence concerne le rapport de l’humain non seulement au temps, mais également aux normes sociales ou juridiques. En ce sens, l’urgence possède aussi un caractère éminemment construit (ibid, p. 31) qui trouve une traduction dans la rhétorique de l’urgence généralisée (ibid., p. 82) propre à nos sociétés, au point que l’urgence se voit parfois retournée en son contraire pour être érigée en culte (Aubert, 2018).
Dans le cadre de ce colloque, il s’agira d’interroger la complexité du concept d’urgence, i.e. la pluridimensionnalité qui la sous-tend. L’urgence pourra être entendue comme une situation de danger (de mort), mais on l’appréhendera également comme une situation à laquelle il convient, précisément, de réagir rapidement en raison de son caractère aigu afin qu’elle puisse in fine être évitée. En tant qu’elle appelle des réactions, l’urgence appartient en outre au registre de l’analyse et de l’anticipation des vulnérabilités[2].
Parallèlement, l’urgence sera étudiée à travers le prisme des frontières, telles que celles-ci sont définies dans le cadre des Border Studies, à savoir comme un ensemble complexe de pratiques, de discours, de normes et de relations fondant les limites matérielles et/ou immatérielles qui circonscrivent et/ou traversent nos sociétés (Wille 2021, p. 116 et suiv.). La focale sera placée sur les phénomènes de dé-stabilisation des frontières tels qu’ils se font jour, à l’époque contemporaine, face aux urgences suscitées dans le contexte des crises climatique, sanitaire (Covid 19) et migratoire. Nous nous intéresserons en somme aux matters of urgency (Kolesch et al., 2025) pour interroger le potentiel critique de l’urgence dans un ordre du monde dessiné par des frontières et hiérarchies, que celles-ci soient liées au genre, aux espèces, etc. L’urgence génère-t-elle un autre ordre au moment où elle est invoquée, engageant par là même différents registres temporels, spatiaux ou affectifs. Les pratiques de l’urgence (Dringlichkeit) permettent nécessairement de déployer différentes formes d’intervention (Niehoff et al., p. 130) qu’il sera intéressant d’aborder en lien avec les frontières pour se demander si l’urgence est, en retour, elle-même dotée d’une forme d’agentivité, de force performative.
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Cette manifestation constitue le dernier jalon d’un cycle franco-allemand plus large portant sur « Urgences et frontières », lequel s’inscrit au sein d’un programme franco-allemand « Réseau et terrains » du CIERA (2023-2025) obtenu grâce à la collaboration de l’Université de Lorraine (CEGIL et LOTERR) et de l’Université de la Sarre (Chaire de Germanistique Française et Département d’Études sociales Européennes). Il entre également dans le cadre des travaux du Center for Border Studies de l'Université de la Grande Région.
Organisation
Cécile Chamayou-Kuhn (cecile.chamayou-kuhn@univ-lorraine.fr)
Carole Wernert (carole.wernert@univ-lorraine.fr)
Programme, flyer et affiche à télécharger ci-contre.