Poétique et politique du récit historique en Allemagne et en France (1789–1914)

organisé par le Centre Interdisciplinaire d'Etudes et de Recherches sur l'Allemagne (CIERA), l'Institut Historique Allemand de Paris, le Centre Georg Simmel (CNRS/EHESS) et le Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Lumières en Europe (IZEA, Universität Halle-Wittenberg) Les XVIIIe et du XIXe siècles jouent un rôle central dans l'émergence de l’acception moderne de l’histoire en Europe occidentale. Durant cette période, la question de l'écriture et de la représentation de l’his­toire fait l'objet d'un examen critique intense et de discussions animées qui ont encouragé l'émergence de nouvelles formes de récits historiques. Ces récits obéissent à des règles de composition variées, mais qui toutes posent de façon centrale le problème de l’arti­culation entre d’une part les contraintes du travail historiographique, nécessairement fondé sur l’ex­ploi­tation rigoureuse des sources et leur vérification, et d’autre part les lois de la narration, en par­tie empruntées au domaine de la production littéraire en général, c’est-à-dire aussi à des modèles fictifs. Or cette période de réflexion intense sur l'élaboration du récit historique correspond aussi au moment où émerge en Europe les histoires nationales, dans une tension constante avec les modèles antérieurs, qu'il s'agisse de l'histoire universelle, de la Reichshistorie ou de l'histoire philosophique. Cette évolution concerne tous les domaines de l'histoire, si divers soient-ils par leur objet: histoire politique, histoire de l’art (Winckel­mann, Séroux d’Agincourt, Rumohr, Kugler, Burckhardt), histoire de la littérature (Villemain, Gervinus, Hettner, Julian Schmidt, Scherer, Petit de Julleville, Lanson), histoire de la philo­sophie (Tennemann, Hegel, Cousin), histoire de la musique etc. Pour l’ensemble de ces histoires, la production du récit historique impose à l’historien un certain nombre d’opérations: mise en relief d’époques, d’épisodes, de personnages, voire de « héros » choi­sis, sélection de faits à l’intérieur du continuum temporel, scansion du récit par l’introduction de césures, division en chapitres, choix de titres, etc. Ces phénomènes n’ont pas échappé à l’analyse. Hayden White et Paul Ricœur, par exemple, ont mis en évidence les processus de « mise en récit » (emplotment) ou de « mise en intrigue » de l‘histoire par lesquels les historiens imposent à leur sujet certaines perspectives et cherchent à orien­ter la réception de leur public. Certains objets historiques sont de ce point de vue parti­cu­lière­ment sensibles. C’est par exemple le cas en France lorsqu’il s’agit d’insérer et de dé­crire dans un récit la césure majeure de la Révolution, qui impose, selon les historiens de l’époque (Augustin Thierry, Thiers, Guizot, Michelet), une réécriture complète du récit national, réexaminé – dans les conditions institutionnelles et politiques bien différentes de la fin du XIXe siècle – par Taine ou encore par Lavisse. C’est aussi bien entendu le cas des récits historiques nationaux qui s'élaborent dans l'Allemagne du XIXe siècle (Ranke, Droysen, Sybel, Lamprecht). Si l’écriture de l’histoire compose ainsi avec les lois du récit, il faut aussi noter que, dans un mouvement symétrique et complémentaire, le récit romanesque ou l’art théâ­tral, durant la même période, composent avec l’histoire (Schiller, Kleist, Vigny, Hugo, Musset, Grabbe, Grillparzer, Alexandre Dumas, Gustav Freytag, Conrad Ferdinand Meyer, Raabe, Zola…). A partir de la fin du XVIIIe siècle s’es­quisse la mode du roman ou du drame historique, qui s’imposent au XIXe siècle comme une autre façon de ressaisir et d’écrire le passé. L’objet du présent colloque est d’interroger la coexistence de ces différents dispositifs nar­­ratifs, sous l'aspect singulier de leur contribution à la construction du récit historique national en Allemagne et en France entre la Révolution française et le début de la Première Guerre mondiale. A cette fin, la rencontre projetée s'intéressera à des champs disciplinaires particulièrement significatifs pour cette question: histoire politique, histoire de la philosophie, histoire littéraire, histoire des arts. Une attention particulière sera portée aux catégories historiographiques utilisées dans la constitution du récit historique national, catégories qui aujourd'hui encore restent à l'œuvre dans certaines approches de l'histoire du XIXe siècle, soit qu'elles induisent une restriction du champ d'investigation à un seul espace linguistique ou national, soit qu'elles placent au premier plan la question de la formation de la nation. Par ce tournant réflexif, il ne s'agit pas de mettre en question l'importance de la catégorie nationale durant la période considérée, mais bien plutôt de la soumettre à une analyse détaillée, afin de lui ôter son évidence apparente et d'éviter que son étude ne conduise à la perpétuer.

Contact

Elisabeth Décultot, Directrice de recherche au CNRS, Centre Georg Simmel (EHESS), Paris (elisabeth.decultot@ens.fr) Prof. Dr. Daniel Fulda, Universität Halle, Interdisziplinäres Zentrum für die Erforschung der europäischen Aufklärung (daniel.fulda@germanistik.uni-halle.de) Christian Helmreich, Maître de conférences, Université de Parris 8, Département d’études germaniques (christian.helmreich@ens.fr)
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