Ecritures de la Kulturkritik : entre science et littérature/ Schreibweisen der Kulturkritik zwischen Literatur und Wissenschaft

Depuis les Lumières, les processus de modernisation (politiques, sociaux, économiques, culturels), suscitent en Europe un discours réflexif et critique (par exemple chez Herder et Rousseau). Pour le caractériser, on a forgé des catégories telles que la Kulturkritik (en Allemagne) ou – plus récemment - l’ « antimodernisme » (en France). Dans son ouvrage de 2007, Georg Bollenbeck s’efforce de donner de la Kulturkritik (un mode de discours selon lui sous-estimé) une définition plus précise, qui tranche avec l’usage souvent polémique et flou de cette catégorie. Même si Bollenbeck fait de Rousseau le premier Kulturkritiker européen, l’interrogation sur la Kulturkritik reste chez lui largement liée à une interrogation sur la vision du monde et la mentalité de la « bourgeoisie de culture » allemande, et un grand nombre des auteurs évoqués sont allemands. De fait, le mot même de Kulturkritik est « intraduisible », ce qui pourrait donner à penser qu’il s’agit là d’un phénomène lié à une configuration culturelle, sociologique et politique allemande (et beaucoup de travaux bien connus vont dans ce sens). Pourtant, le livre d’Antoine Compagnon sur les « antimodernes » est venu montrer la permanence dans la littérature française d’un courant de critique de ce qui est perçu comme la civilisation moderne. Parce qu’en France, l’enjeu culturel et politique de ce thème n’est pas le même, l’intérêt pour ce type de discours est plus récent, mais semble se développer. Le livre d’Antoine Compagnon est une invitation à élargir le champ, et à s’interroger dans une perspective franco-allemande et européenne sur l’histoire et la résonance politique des discours qui expriment une inquiétude face aux processus de modernisation. Le terme de Kulturkritik étant mieux délimité, on a fait le choix d’en faire dans un premier temps la catégorie générique des discours qui seront abordés dans le projet. Un autre choix a été se concentrer principalement sur la période 1860-1933, car elle semble correspondre à une phase de cristallisation de ces discours. Dès le début des années 1870, Nietzsche s’interroge sur l’antagonisme entre la vie et la société bourgeoise, et à la même époque on observe en France une réaction contre le positivisme (sous les auspices philosophiques du « spiritualisme »). À la différence des théories qui insistent sur le Sonderweg de l’Allemagne, notre point de départ est qu’on est en présence de deux sociétés impériales dominées par la bourgeoisie et qui présentent des symptômes de crise. L’esprit général de l’enquête ici proposée est donc la recherche de convergences autour de références et d’éléments discursifs communs qui circulent entre les deux pays. Il s’agit plutôt de réfléchir sur des transferts que de procéder à une comparaison proprement dit entre deux ensembles séparés de façon étanche, même si dans chaque pays, les processus de modernisation ont une physionomie propre due à une configuration politique et sociologique spécifique. Il s’agira donc sans doute de mettre l’accent sur des convergences, mais sans toutefois occulter le fait que celles-ci reposent souvent sur des malentendus (productifs), compte tenu de cultures politiques et scientifiques différentes. Lors des précédentes journées d’études, on a abordé la question des réseaux et des médiateurs de la Kulturkritik, ainsi que celle de son diagnostic. Au centre de cette troisième journée d’études, il y a la question de la forme d’écriture de la Kulturkritik, entre sciences humaines, essayisme et littérature. On pourrait en effet penser que la Kulturkritik et la science sont antagonistes. La science semble être liée à cette idéologie du progrès à laquelle s’attaque la critique de la civilisation. Pourtant, plusieurs auteurs ont attiré l’attention sur l’importance de la Kulturkritik pour la sociologie allemande, allant jusqu’à dire que celle-ci était née de l’esprit même de la Kulturkritik, dans la mesure où sa thématique dominante est une analyse réflexive et souvent teintée d’inquiétude de la société bourgeoise, considérée comme porteuse d’une rationalisation culturelle et économique. La Kulturkritik se déploie toutefois souvent dans un espace essayistique, aux frontières de la littérature (l on sait par exemple que la première réception de Nietzsche a été surtout littéraire). La question qui se pose alors (au sujet par exemple de Stefan George) est celle du rapport complexe entre modernité littéraire et modernité sociopolitique.

Lieu

Université de Heidelberg

Date

24-25 janvier 2014

Contact

Olivier Agard/ Barbara Beßlich (oagard@noos.fr)/ (barbara.besslich@gs.uni-heidelberg.de)
Publié le