L’Etat et la construction cartographique de la frontière (XVIIe-XIXe siècle)

en partenariat avec le Landesarchiv des Saarlands (Saarbrücken)

Dans le cadre du PFR « Espaces frontaliers », une deuxième rencontre se déroule à Sarrebruck. Cette rencontre doit être envisagée dans le cadre d’un processus de réflexion collective autour de la fonction des cartes et du rôle de la cartographie dans la construction de l’État. En effet, l’existence d’un Etat passe par ses institutions, ses dirigeants, comme aussi par sa capacité à se dire, à se raconter – par exemple avec des historiographes – et à se représenter. Cette représentation est bien entendu de l’ordre de l’humain, de l’iconographie, de l’héraldique, mais aussi de la cartographie. La carte constitue en effet un moyen de montrer aux yeux de tous l’emprise spatiale de l’exercice de l’autorité pour l’Etat. On connait l’anecdote lorsqu’en 1682, l’astronome La Hire présente au roi La Carte de France corrigée par les ordres du roi et qui s’exclame : « Ces messieurs de l’Académie avec leurs chers travaux m’ont coûté une partie de mon royaume et m’ont pris plus de territoire que tous mes ennemis réunis ! ». Au-delà de l’anecdote, on comprend la dynamique engagée au nom de l’Etat pour gagner en précision – ici grâce à la triangulation – et en connaissances, car il s’agit bien de cela : mieux connaître pour mieux gouverner. Or, pour ce faire, il convient d’affiner au mieux le tracé qui permet de circonscrire le périmètre de l’espace dominé par l’Etat. La frontière et son tracé font ainsi l’objet d’une recherche de plus en plus active d’une précision topographique fine : la carte dite de Cassini est à l’échelle 1/86000e mais celle des Naudin, créée entre 1728 et 1739, au 1/28800e, soit presque le standard de la carte topographique que nous connaissons. Endessous, il y a bien entendu le plan. Or c’est la capacité mathématique et technique de représenter à une échelle très petite un espace qui fait pleinement entrer la carte dans le processus de construction de la frontière.

L’Etat est au coeur du processus de mise en carte. En France, dès le XVIe siècle, Nicolas de Nicolay s’est vu confier un projet cartographique d'envergure nationale qui donne lieu notamment à la Description générale du Bourbonnais (1569), tout comme Nicolas Sanson ou les Cassini au XVIIe siècle dont les productions sont davantage connues. La carte, comme les « mémoires » ou descriptions sur une ville ou un espace défini, deviennent des outils de gouvernement, au XVIIe siècle et, plus encore au XVIIIe siècle au moment où la carte-plan, à une petite échelle, donne de plus en plus à voir la topographie. Pour ce faire, la précision devient une nécessité et une affaire de spécialistes : les ingénieurs-géographes, qu’ils soient militaires ou civils. Les archives recèlent nombre d’exemples des travaux réalisés par ces derniers. Cartes et plans qui représentent l’espace frontalier sont de facto des producteurs de frontière, par le tracé, le dessin et la légende. L’écart est réel entre la carte de Lorraine de Mercator ou de Johannes Janssonius (1/326 000e), avec son tracé de frontières en pointillés noirs et, par exemple, Les Estats du Duc de Lorraine d’Alexis-Hubert Jaillot (1705) qui dresse sa carte au 1/180 000e, usant de la couleur pour déterminer les tracés frontaliers. De même, en 1708, Gaspard Baillieu dresse une carte – Partie du cours de la Saare où est Sar-Louis… – avec une échelle à peine plus fine (1/165 000e) où cette frontière est tracée en couleurs. Avec les Naudin et la précision quasi topographique, ces tracés peuvent être encore mieux déterminés et suivi. Reste que dans les discussions liées aux traités frontaliers, le terrain conserve toute son importance et que la carte-plan joue certainement un rôle. Ainsi, il apparaît fructueux d’interroger ces productions cartographiques, à différentes échelles, afin de questionner la mise en oeuvre pratique du tracé frontalier entre France et Empire. Comment ces cartes sont-elles établies et quels sont leurs usages dans la pratique diplomatique ? En quoi sont-elles déterminantes dans la représentation de la frontière, pour des acteurs comme pour des praticiens ? Ces questions générales peuvent être abondées avec une étude fine de cas particuliers, avec des mises en regard archives écrites et cartographie, en jouant sur les formes et échelles de dessin comme sur les légendes et le vocable employés.

La rencontre, fondée sur l’étude de cartes, permettra de réfléchir sur le processus de « frontiérisation » pratique et symbolique, de part et d’autre d’une limite, avec en arrière-plan une question : sommes-nous face à une frontière de papier partagée, « égale », ou bien sur une cartographie imposée par la monarchie française et ses spécialistes face à de plus modestes Etats ? Et, en revanche, quel rôle le savoir cartographique jouait-il dans le gouvernement des « petits » princes d’outre-Rhin ? Le champ d’études sera celui de la région de la Sarre et des frontières actuelles entre France et Allemagne, mais sans exclusivisme. Les travaux s’appuieront sur les fonds cartographiques du Landesarchiv des Saarlands à Sarrebruck (Fonds Hellwig entre autres) et sur d’autres accessibles en ligne.

Contacts et inscription

Laurent Jalabert (CRULH-UL Nancy): laurent.jalabert@univ-lorraine.fr
Maike Schmidt (Universität Leipzig): maike.schmidt@uni-leipzig.de

Publié le

Date

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Lieu

Landesarchiv des Saarlands (Saarbrücken)

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