La Politique Européenne de Voisinage. Les limites de l'européanisation

L’enjeu de la coopération entre les trois centres de recherche est de prendre en compte la nouvelle situation historique propre aux nouvelles frontières de l’UE sur la base d’une réévaluation des principaux acquis de l’européanisation, concept qui commence d’être fructueusement étendu à l’étude des nouveaux membres (Bieler, 2003, Lippert, 2004 ; Landvai, 2005, Sedelmeier, 2005, Lippert, 2005, Bruszt & Stark, 2005, Bafoil, 2006, Kutter Trappmann 2006, Cerami, 2006, (Surel et Saurruger, 2006), Bafoil & Beichelt, 2008, Bafoil, 2009). Dans le cadre de la préparation à l’intégration dans l’UE, il est attendu de tout candidat qu’il reprenne dans sa législation les règles de l’UE, consignées dans le traité de Copenhague et dans l’Acquis Communautaire. Dans le cas de la Turquie, ce schéma est remis en question, et dans le cas ukrainien, il n’est même pas envisagé puisque le statut de pays candidat lui est refusé. D’où un infléchissement certain de la compréhension même du concept d’européanisation : puisque l’objectif final qui supportait dans les élargissements antérieurs les dynamiques d’ajustement aux règles de l’UE fait maintenant défaut, on peut supposer que les dynamiques actuelles (et à venir) diffèreront des précédentes. C’est toute la problématique du choix rationnel qui est soulevée, avec au premier rang, la question de l’intérêt et celle des incitations. Quel intérêt a le pays candidat à se soumettre à la pression de l’UE quand sa candidature ne peut être transformée en adhésion ? Si la fin n’est pas identique à ce qu’elle était dans les précédents processus d’ajustement, quelle incitation faire jouer ? Par conséquent quel contrôle l’UER peut prétendre exercer ? Comment réduire l’opportunisme du partenaire et donc le risque qu’il peut faire courir à la communauté en matière de sécurité, en optant pour des alternatives coûteuses ? Les observateurs des processus est-européens ont massivement souligné l’importance du calcul coût / bénéfice dans le rythme d’adaptation à l’UE. Ils ont mis en valeur la capacité de l’Union à déterminer le cours du jeu, sur la base d’un rapport asymétrique en sa faveur de droits et de devoirs, mais qui au bout du compte garantissait au partenaire l’entrée dans l’UE et avec elle, la participation politique et la disposition des fonds pour le développement économique. D’autres ont insisté sur la responsabilité de l’UE 15 à l’égard de la partie orientale de l’Europe avant 1989. Pour cette raison, les élargissements de 2004 et de 2007 ont pu être considérés comme l’achèvement de processus historiques momentanément interrompus par les décisions prises à Yalta en 1944. Le cumul de ces deux dynamiques (l’intérêt et le devoir d’assistance) a, à coup sûr été, un puissant levier pour l’intégration des pays candidats. Ce cas de figure n’est plus du tout pertinent pour les cas Ukrainien et Turc. La question est d’autant plus cruciale que le processus d’européanisation se retrouve, dans le cas de l’Ukraine, en concurrence avec un autre pôle d’attraction, celui de la Russie, ce qui était beaucoup moins le cas, lors de la période de transition des années 90, pour les pays d’Europe centrale et orientale. Le pôle russe pose en outre problème dans la mesure où il repose sur des normes guère compatibles à ce jour avec les normes européennes. Il en va de même pour la Turquie, où plusieurs voix s’élèvent dans ce pays pour inciter au repli sur l’espace turcophone, compte tenu des réticences affichées par l’UE et des capacités turques à négocier en position de force les politiques d’approvisionnement énergétique. Pour plusieurs observateurs, la Turquie se pense comme l’interlocuteur privilégié du Moyen Orient. D’où l’intérêt de réévaluer l’approche très fructueuse des collègues allemands, Riesse et Bözsell qui font valoir le poids des architectures institutionnelles domestiques dans le processus d’européanisation en l’appliquant aux deux pays indiqués. Selon les chercheurs allemands, plus un pays est en mesure de faire valoir des ressources propres (institutionnelles, législatives, acteurs organisés), moins l’impact de la règle de l’Union européenne est fort. Plus le niveau domestique est organisé, plus le risque de conflit avec un ensemble de règles supra nationales est élevé. A l’inverse, moins un pays est doté de ressources propres, et plus il est ouvert à l’adoption d’une régulation « extérieure ». Plusieurs auteurs en déduisent d’importants constats en matière de capacités des acteurs (institutionnels ou autres) à s’emparer de la règle pour faire valoir leurs propres intérêt, à différents niveaux. Ce sont les acteurs parfois appelés groupes d’intérêts dotés de fortes capacités de veto. Ainsi, la règle de l’UE peut représenter une ressource considérable pour des acteurs régionaux en conflit avec leurs autorités étatiques. Ces derniers peuvent ainsi échapper ou contourner (exit) le poids des contraintes centrales. C’est ce qu’ont pu montrer plusieurs études portant soit sur les niveaux des scènes politiques (Vachudova, 2005), soit sur les coopérations transfrontalières (Pologne / Ukraine ou encore Bulgarie / Turquie). L’objet des rencontres entre nos trois laboratoires est d’identifier d’un point de vue empirique ces acteurs et ces institutions (veto power et facilitatrices), la capacités de développement régional, les alternatives qu’ils avancent et les risques encourus et d’un point de vue théorique, les approches en termes d’européanisation et d’institutionalisme.

Organisation

François

Etablissements

Établissement organisateur
Sciences Po Paris
Établissements partenaires
Europa-Universität-Viadrina, Sciences Po Grenoble