La réforme grégorienne, une « révolution totale » ? État comparatif de la recherche dans les espaces francophones et germanophones.

[Deutsche Ausschreibung im Attachment] 

La période post-carolingienne a donné lieu ces dernières décennies à des approches très différentes des deux côtés du Rhin, les débats sur le « mutationnisme » ou sur les questions spatiales étant par exemple beaucoup plus vifs en France, tandis que les chercheurs allemands s’intéressaient à d’autres questions, notamment celles des rituels politiques, à d’autres niveaux de l’aristocratie, avec une prégnance constante des études sur l’entourage impérial, et à d’autres chronologies, la césure que constituerait le Xe siècle étant largement moins forte dans l’historiographie de langue allemande. De même, la « réforme grégorienne » fut très tôt envisagée de manière différente par les deux écoles historiographiques et cet atelier de jeunes chercheurs entend précisément faire le point sur les recherches récentes concernant cette période dans le royaume de France et dans l’Empire. 

Des définitions fluctuantes

La notion même de « réforme grégorienne » est problématique : cette expression, initiée dans la première moitié du XIXe siècle par deux protestants, F. Guizot et J. Voigt, puis théorisée en Allemagne un demi-siècle plus tard[1], renvoie d’une part à une notion morale, tout en faisant, d’autre part, uniquement référence au conflit opposant Grégoire VII à Henri IV, ce qui est trop restrictif, puisque plusieurs papes menèrent une politique similaire dès le pontificat de Léon IX. Mais, à la suite de la publication de l’ouvrage d’A. Fliche entre 1924 et 1937[2], l’expression est solidement ancrée dans les esprits, surtout en France, puisque l’on parle surtout de la « Querelle des Investitures » côté allemand, même si cette formule ne décrit que la période 1076-1122[3].

Pourtant, l’« idéal-type »[4] que constitue la « réforme grégorienne » semble nécessaire, et une redéfinition de son contenu et de ses limites a été entamée ces dernières années, afin notamment de mesurer en quoi elle fut une période de changement, une césure potentielle entre deux Moyen Âge.

Une rupture « révolutionnaire » ?

Dès le début du XXe siècle, la réforme grégorienne, cantonnée jusque-là principalement au champ de l’histoire religieuse, a été comprise dans un sens socio-politique plus large, G. Tellenbach évoquant le passage d’un « ordonnancement politique du monde »[5] à un autre, tandis que S. Weinfurter décrivit l’épisode de Canossa comme étant la cause d’un « désenchantement » du monde[6]. Dans le même temps, la recherche a montré les particularismes locaux et les rythmes différents, soulignant par exemple le grégorianisme modéré soutenu par les Capétiens dans le royaume de France. 

L’idée d’une « révolution » grégorienne touchant l’ensemble de la société, de ses aspects juridiques aux considérations symboliques, de ses représentations iconographiques aux rapports de force politiques, s’est alors progressivement diffusée, d’abord sous la plume d’historiens germanophones, comme W. Ullmann et G. Tellenbach[7], puis sous celle de chercheurs de tradition anglo-saxonne[8] et française[9]. Les travaux récents ayant fortement atténué la pertinence d’une rupture autour de l’an mil, on assiste désormais en France à une nouvelle compréhension du moment grégorien comme période de rupture principale du Moyen Âge, au point que certains évoquent désormais une « mutation de l’an 1100 »[10], laquelle serait fortement (mais non uniquement) liée aux réformes pontificales et à leurs conséquences dans les sociétés latines.

Un état des lieux comparatif et interdisciplinaire

L’objectif de cette journée d’étude est de faire un état des lieux de la recherche des dernières décennies afin de comprendre comment les chercheurs issus de différentes disciplines et de plusieurs écoles historiographiques définissent d’un point de vue chronologique et thématique la « réforme grégorienne », d’une part, et surtout comment ils comprennent et mesurent les changements survenus durant cette période, d’autre part.

Cet atelier se veut résolument multidisciplinaire, intégrant non seulement le champ des études en histoire religieuse, politique, sociale, économique et culturelle, mais aussi celui de l’histoire du droit, de la diplomatique, de la philologie et de l’histoire de l’art. Cette approche permettra un décloisonnement entre les disciplines concernées, et constituera surtout une opportunité de dialogue entre jeunes chercheurs francophones et germanophones, afin de mieux comprendre si ces approches différentes s’expliquent par la diversité des sources conservées des deux côtés du Rhin ou si elles relèvent avant tout de traditions historiographiques divergentes.

Coordination scientifique

Tristan Martine (Université Jean Moulin Lyon 3, CIHAM-UMR 5648)
Jérémy Winandy (Universität Hamburg)

Comité scientifique

G. Bührer-Thierry (Université Paris 1)
C. Caby (Université Lumière Lyon 2)
J. Chiffoleau (EHESS)
Ph. Depreux (Universität Hamburg)
M.-C. Isaïa (Université Jean Moulin Lyon 3)
G. Lubich (Universität Bochum)
P. Monnet (IFRA-SHS/ EHESS)     
J. Théry (Université Lumière Lyon 2)

 

 

[1] C. De Miramon, « L'invention de la Réforme grégorienne : Grégoire VII au XIXe siècle entre pouvoir spirituel et bureaucratisation de l'Église », 2017.

[2] A. Fliche, La réforme grégorienne, 3 vol., E. Champion, Paris, 1924-1937.

[3] C. Zey, Der Investiturstreit, C.H. Beck, Munich, 2017; W. Hartmann, Der Investiturstreit, R. Oldenbourg, Munich, 2007 (éd. revue); W. Goez, Kirchenreform und Investiturstreit: 910 - 1122, W. Kohlhammer, Stuttgart, 2000.

[4] F. Mazel, « Pour une redéfinition de la réforme "grégorienne". Éléments d'introduction », in La réforme « grégorienne » dans le Midi (milieu XIe - début XIIIe siècle), Éditions Privat, Cahiers de Fanjeaux n° 48, 2013, p. 10.

[5] G. Tellenbach, Libertas. Kirche und Weltordnung im Zeitalter des Investiturstreits, W. Kohlhammer, Stuttgart, 1936.

[6] S. Weinfurter, Canossa: die Entzauberung der Welt, C. H. Beck, Munich, 2006.

[7]  W. Ullmann, The Growth of Papal Government in the Middle Ages: A Study in the Ideological Relation of Clerical to Lay Power, Methuen, Londres, 1955; G. Tellenbach, Libertas…, op. cit.

[8] H. J. Berman, Law and Revolution: the formation of the western legal Tradition, Harvard University Press, Harvard, 1983; K. Leyser, Communications and power in medieval Europe: the gregorian revolution and beyond, The Hambledon Press, Londres, 1994.

[9]  F. Mazel, « La réforme grégorienne. Une révolution totale », L’Histoire, n° 381, 2012, p. 66-72.

[10] D. Barthélemy, « La mutation de l’an 1100 », Journal des Savants, 2005, n°1, p. 3-28.

 

Publié le

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Lieu

MSH Lyon Saint-Etienne
salle Marc Bloch
14 av. Berthelot
69007 LYON

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